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Les trois registres qui cohabitent et se confrontent dans cette pièce, se retrouvent sous différentes formes dans une grande partie des compositions de Cécile Meynier.
À ses débuts, elle pratique avec une maîtrise éprouvée une peinture abstraite formelle, usant du masking tape, recourant au hard hedge, aux couleurs franches, aux aplats et aux angles droits.
Une peinture avec laquelle elle éprouve bientôt le besoin de prendre du recul. Cela se fait de plusieurs façons : Elle lui règle son compte (selon ses propres termes) à grands coups de rouleaux enduits de pâte à crépi. Il ne s'agit donc pas là de passer de l'abstraction construite à l'abstraction gestuelle mais de faire dériver la peinture, du high au low, du grand art à la peinture en bâtiment...ou presque, puisqu'en travaillant sur toile et sur châssis elle maintient soigneusement l'ambiguïté.
Une autre façon de bousculer le conventionnel et l'appris, consiste à utiliser la peinture comme toile de fond, élément de décor pour ses installations, ce qui fait surgir bien des questions : le monochrome ou l'abstraction formelle ne sont-ils que les éléments d'un cadre de vie? (ce serait peut-être interpréter de façon extrême les théories de De Stijl). La photographie n'est-elle qu'un élément de décor mural ? Le fait de peindre avec du crépi est-il une conséquence d'une telle vision ou au contraire, une façon de brouiller les catégories pour que la peinture s'échappe réellement du mur ?
Si comme second élément, la sculpture minimaliste ou construite de façon très rigoureuse subsiste, elle est à son tour réduite à assumer le rôle de socle, à fournir une base stricte pour la part fantasque de l'œuvre, ce registre aventureux qu'incarne la céramique.
Une arrière-pensée ne manque pas de surgir chaque fois que l'on évoque la céramique : dans quel domaine sommes-nous? Dans la poterie? Dans la vaisselle? Dans le petit sujet décoratif ou dans la sculpture ?
Pour Cécile Meynier, la pratique de la céramique est abordée comme un terrain d'expérience, sans formation préalable. Il ne s'agit pas de tourner en dérision le savoir-faire artisanal mais de faire sortir du matériau tout ce qui révèle la tentative non maîtrisée du geste.
Le fait de ne pas posséder ce savoir-faire à la perfection, d'un bout à l'autre de la chaîne d'élaboration (modelage ou tournage, émaillage, cuisson) se distingue également de la volonté d'abandonner certains paramètres au hasard comme on peut le faire dans l'artisanat d'art pour que, livré à lui-même, le matériau produise des effets accidentels qui distinguent l'objet d'un produit manufacturé. L'artiste ne recherche pas cet effet pseudo-artistique. Elle se risque sur un territoire dont elle n'a pas l'expertise pour tenter de le maîtriser.
Cette confrontation pose une série de questions touchant à la nature de la production, au rôle de l'artisan et à celui de l'artiste, la question du sens de la perfection, du sens de la tentative, de l'essai, de l'accompli et de l'échec ou plutôt de ce qui déborde le projet. La question encore concernant le sens de l'activité et de la visée de l'artiste, enfin celle de l'ennui total de l'académique devant le plaisir et l'humour.
Vient ensuite le temps de l'agencement de ces registres entre eux. Ses installations ne tombent pas dans le piège de la théâtralité. Il ne s'agit pas d'une scénographie à proprement parler. Tout juste d'un assemblage qui cumule ce qui résulte de ses expériences avec les différents médiums.
Une sorte d'état des lieux qui arrange artistement le fruit de ses empoignades avec le matériau, de ses réussites plaisantes, de ses petites défaites. Mais comme le disait Dieter Roth : en art l'erreur n'existe pas.
Une partie s'engage au cœur de la composition, entre le construit et le pétri, entre le rigide et le mou, entre l'érigé et l'affaissé, entre le rigoureux et l'entropique, entre l'accompli et l'avorté, et tout cela finit par fonder une cohérence plastique légère, modulable, pleine de vie, dans laquelle, derrière l'humour, on perçoit le sérieux des questions qui surgissent de toute pulsion créatrice.
Aussi dérisoire soit-elle, la forme esquissée s'épanouit dans le décorum d'un morceau de paillasson ou de moquette. Le rôle du socle soigneusement construit ou d'un coin de tapis déroulé avec désinvolture, installent en même temps dans le domaine du bel art et de l'art domestique les catégories déviantes.
L'ensemble du travail de Cécile Meynier est à saisir comme une démarche processuelle. Le spectateur est convié à observer simultanément le déroulement d'une action - celle du façonnage des éléments constitutifs, lisible dans leur morphologie - et le moment de l'assemblage.
L'œuvre apparaît dans l'instant où l'artiste décide d'une phase de confrontation dans un dispositif ponctuel susceptible d'être remis en jeu, comparable à ce qu'on appelle en vidéo un "arrêt sur image". Une mise en situation.
Dans une œuvre ainsi ouverte, chaque élément reste disponible pour une réorganisation qui permet de multiplier et de diversifier les accords pour une ouverture sur de nouvelles perspectives et de nouvelles pistes de lecture, pour la mise à jour de nouvelles dissonances et de nouvelles cohésions.