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Des images d’atelier sont livrées, quelques interrogations ou une allégation et... pan ! Une conversation
est lancée. Une parmi tant d’autres.
Nos échanges avec Cécile Meynier malmènent vigoureusement le principe de short message service. Et ça chicane, ça objecte, et surtout ça déraille. Parfois, il faut dégainer comme un cow-boy l’appel de vive voix pour démêler un amphigouri chargé en émoticônes.
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L’un des premiers automatismes lorsque l’on commence à questionner une production artistique est de vouloir la catégoriser. Quelle est la pratique de cet artiste ? Quel est son médium de prédilection ? Peinture, sculpture, etc. ? D’emblée, au regard des œuvres de Cécile Meynier, on peut difficilement répondre de manière simple à cette interrogation parce que ses productions échappent à cette catégorisation. Peinture, sculpture, céramique, interventions in situ, construction personnalisée de mobilier d’exposition, elle possède cette aptitude à puiser dans le potentiel de différents médiums traditionnels ou non qu’elle exploite pour développer un langage formel qui lui est propre. Et elle ne craint jamais les contraintes formelles et matérielles qui peuvent lui être imposées, qu’elles soient liées à l’environnement, à la commande, au hasard, à l’accident car celles-ci seront toujours une nouvelle source possible d’enrichir son vocabulaire.
L’artiste, à ce sujet, évoque souvent l’accident comme une partie intégrante de son œuvre. Et pourtant, on pourrait en douter parce qu’il émane un tel contrôle dans la mise en œuvre et la qualité de la réalisation que ce sentiment d’exploitation du hasard s’en trouve presque totalement effacé. Quand elle prélève par exemple une poutre calcinée (1) d’un environnement sinistré pour composer une sculpture, la surprise de perfection de la « semi-sculpture trouvée » est telle que l’on cherche méticuleusement la preuve que nous n’avons pas affaire à un artifice ou à un leurre.
Ses installations décentrées qui bousculent l’espace et qui adoptent ce nom générique de « dérapages (2) » en sont une autre illustration à propos. Déraper implique la notion de manquement à une trajectoire destinée. Chez Meynier, la décision est loin d’être équivoque ; il n’est ostensiblement pas question de suivre la trajectoire donnée. Et le dérapage est contrôlé voire même savamment orchestré avant l’action. Le hasard n’aurait certainement pas su mieux agir. Le terme de dérapage souvent emprunté à l’univers de l’automobile et autres bécanes renvoie aux images de Formule Drift où l'artiste agit tel un pilote effectuant des dérapages avec une maîtrise parfaite.
Indéniablement, la spatialisation fait œuvre dans le travail de Meynier. Lorsqu’elle narre ses premières interventions artistiques – encore au stade de l’enfance –, il s’en dégage déjà, plus qu'une volonté, un réel besoin d’agir sur son environnement et l’espace. Comment un simple geste, tel un morceau de moquette roulé puis fixé au mur (3), peut-il redéfinir les perceptions d’un espace ?
De prime abord, et donc sans prendre le temps d’approfondir la réflexion sur la manière dont le travail se construit, on serait amené à penser qu'il fonctionne sur un principe de contradiction. Certes, il est souvent question de déjouer les codes mais davantage dans une démarche de l'« à côté » plutôt que l’« a contrario ». Faire, procéder et utiliser différemment – les matériaux, les objets et leurs usages.
Cécile Meynier développe ainsi des mondes parallèles où la perception même de l'espace et de notre rapport à celui-ci est truqué, provoquant chez le regardeur un temps d’arrêt où l’équilibre des formes, l’appréciation des distances et l’habitude de l’œil sont mises à mal. Et les changements d’échelle et la manière dont ils cohabitent y participent.
Les réalisations de ses débuts témoignent d’expériences démonstratives sur la combinaison et les mises en tension objet/œuvre-espace multipliant les œuvres in situ. Puis, sa production s’est progressivement enrichie par davantage d’objets-sculptures pouvant exister en des espaces différents, rejouant à chaque présentation une nouvelle mise en scène.
Ses sculptures, qu’elle considère comme des « volumes autonomes », sont autant de personnages qui vont jouer l’exposition. Et ses expositions personnelles deviennent des installations où ce qui fait œuvre et ce qui fait exposition est parfois difficilement distinguable. L’investissement dans la mise en scène et la mise en installation est tel que le médium exposition peut parfois se résumer à une simple affaire de temporalité – marqué par un début et une fin. Et pourtant, la sensation d’un temps arrêté subsiste, un moment suspendu au cours d’une intrigue. L’artiste agit comme un collagiste capable à la fois d’associer une mixité de matériaux, de sculptures ou d’objets devenus personnages tout en saisissant le bon moment de la composition, celui qui marque un achèvement parmi d’autres possibles. Ainsi naît un paysage. Et ce dernier est un leitmotiv dans sa manière de composer et de créer.
Quand elle compose ses expositions, Meynier pousse parfois l’arrangement à un point de vue qui se rapproche de la peinture. Par nature, un paysage n’a pas de parcours obligé et s’oriente et s’apprécie selon la volonté du passant. Elle force cependant notre regard et notre point de vue en abordant la composition avec frontalité. Et c’est très naturellement que le visiteur vient se poster devant cette scène comme s’il abordait une peinture de face. C’est cette même frontalité que l’on retrouve dans les peintures des primitifs italiens. Les plans se succèdent comme si la troisième dimension rétrogradait pour passer en seconde. Le dernier plan dans ses expositions s’achevant souvent contre un mur avec parfois des peintures abstraites accrochées qui jouent le rôle d’arrière-plan paysager. Lesdites peintures n’auraient d’ailleurs qu’un maigre intérêt à exister indépendamment des acteurs qui les précèdent.
Naturellement, ce goût pour le paysage qu’elle expérimentait à ses débuts avec des formes géométriques abstraites l’a menée à emprunter le vocabulaire de formes propres à l’habitat et à l’architecture. Elle crée ainsi des paysages miniaturisés minimaux en céramique qui viennent bousculer les échelles du format d’exposition. En stylisant un buisson avec un spaghetti de terre entrelacé, elle dépouille de ses marqueurs temporels et patrimoniaux un château d’eau (5). Et c’est réciproquement le code formel de cette architecture pourtant débarrassée de ses détails la qualifiant en tant qu’espace possiblement occupé (ni portes ni fenêtres) qui permet de comprendre l’ensemble comme un paysage.
Les sculptures figuratives occupent de plus en plus une place privilégiée dans les œuvres récentes de Cécile Meynier. Et elles participent pleinement à une logique sociale et symbolique. Dans la mise en rapport discursive de ces objets, il n'est plus question d'usage évidemment mais de formes, de classes et de symboles.
Objets-domestiques, objets-véhicules, objets-architecture, etc. Sous l'œil du sociologue Baudrillard, la somme des objets est le révélateur de l'appartenance sociale mais ce qui l'intéresse davantage c'est « de les considérer dans leur choix, leur organisation et leur pratique, comme le support d'une structure globale de l'environnement (6) ».
Si l'on additionne la collection d'objets convoqués dans les productions, il n'en ressort clairement aucune appartenance sociale qui se distingue sinon de nombreuses mises au même niveau. Elle nous livre des bribes de la société issues de classes variées qu’elle réunit dans un même environnement voire parfois au sein d’un même « objet ». En analysant par exemple la portée sociale à travers le filtre de la catégorie des véhicules, symbole fort d’appartenance et signe distinctif, nous sommes en présence de classes très différentes : le modèle Captur de chez Renault (7), l’une des voitures les plus populaires, représentative de la classe moyenne, côtoie le yacht (8), symbole d'une classe élitiste ou en encore la caravane (9), représentation d'une classe sociale nomade.
Certaines « sculptures-objets » aux attraits décoratifs parfois même proches de la babiole surdimensionnée renvoient symboliquement à l’objet décoratif qui aurait été arraché d’un espace domestique. Ainsi voguent parfois, dans les installations, des cygnes qui auraient un jour déserté un intérieur désuet et poussiéreux. Des vases, des pots en céramique ou autres objets en porcelaine qui auraient été prélevés d'une demeure soigneusement décorée grâce aux boutiques de design top tendance vont venir ponctuer une surface qui déraille ou encore deviennent les personnages d’une scène d’exposition.
Quand l'artiste produit des sculptures-coupes en forme de calice (11), essaie-t-elle de nous rappeler ces temps plus anciens où la religion et ses représentants dictaient l’art officiel ?
Meynier exploite toute la force et la portée symbolique des objets sans pour autant procéder à une polarisation de la société. Ce sont ces fragments extraits d’un environnement social décousu et déconstruit qui vont se recomposer et se réorganiser au service de la forme et de l’espace. Elle nous rappelle cependant combien l'art et la société sont intimement liés et la manière dont l'artiste est conditionné par l'environnement social dans lequel il évolue.
Cécile Meynier a engagé un parcours artistique où formes abstraites et géométriques composaient essentiellement son répertoire formel. Un glissement vers le figuratif et la convocation de l’objet est progressivement apparu et a enrichi sa syntaxe. Si l’on ajoute à cela la multiplication des techniques et des médiums qu’elle a apprivoisés et l’opiniâtreté qu’elle manifeste à toujours vouloir creuser à côté de son jardin, elle nous tient en haleine.